2016 : LE RISQUE DE GLISSEMENT PERSISTE
La sonnette d’alarme vient d’être
tirée par l’avocat Jean-Marie Kabengel Ilunga a qui, dans une analyse critique
de la loi électorale telle modifiée par la commission paritaire, relève que des
zones d’ombre demeurent, dès lors que la répartition des sièges dans une
circonscription reste conditionnée par le recensement de la population
Avocat au barreau de
Kinshasa/Matete, Me Kabengela Ilunga défend souvent des dossiers difficiles. On
l’a notamment vu aux premières loges lors des procès du double assassinat des
défenseurs des droits de l’homme Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, de Jimmy
Ambumba Linganga, avocat, professeur d’université et membre de la Convention
Nationale des Droits de l’Homme (CONADHO)ainsi que de Chalupa, pour ne citer
que ceux-là.
Faisant une analyse critique de
la loi électorale dont le projet était venu du ministre Evariste Boshab,
l’avocat Kabengela Ilunga estime que le piège demeure malgré le fait que
l’alinéa à la base de dernières émeutes a été finalement élaguée par les deux
chambres du parlement pour calmer la rue.
Selon lui, le recours au
recensement de la population comme préalable à l’organisation des élections
n’est pas écarté dès lors que la répartition des sièges dans une
circonscription reste conditionnée par cette opération décriée. Le risque de
glissement persiste donc.
L’allusion faite au nombre d’habitants
par province en lieu et place du nombre d’électeurs pour déterminer le nombre
de sièges par circonscription risque de déboucher sur des divergences dans
l’interprétation de la fameuse loi électorale.
La vigilance doit donc rester de
mise au sein de la société civile et de la classe politique tant que ces zones
d’ombre ne seront pas clarifiées avant l’échéance 2016.
Ci-dessous l’analyse de cet
éminent avocat :
Après le boycott des travaux
parlementaires portant sur l’examen du projet de loi modifiant et complétant la
loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle,
législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée
par la loi n°11/003 du 25 juin 2011, par les députés nationaux de l’opposition
et les manifestations populaires contre ce projet de loi, la grande déception
est de constater que les parlementaires ont menti au peuple congolais que la
conditionnalité de recensement de la population n’est plus une condition à la
tenue des élections de 2016, et notamment celle présidentielle.
Cependant, en parcourant la loi,
objet des critiques telle qu’adoptée par la commission mixte paritaire
Assemblée Nationale-Sénat en séance du 25 janvier 2015, on constate que malgré
la suppression de l’alinéa 3 de l’article 8, beaucoup d’autres dispositions de
ladite loi maintiennent le recensement de la population comme condition
préalable d’abord à la répartition des sièges dans une circonscription et
partant, à l’organisations des élections.
Dans ce contexte, le risque de
glissement persiste en ce que, si la CENI tient à coupler les élections
présidentielle et législatives comme par le passé (2006 et 2011), elle
connaîtrait un blocage dû à la non répartition des sièges dans les
circonscriptions électorales des députés nationaux, lequel blocage sera dû à la
non maîtrise du nombre d’habitants dans une circonscription. Ce nombre
d’habitants ne peut être connu qu’à la suite des opérations de recensement et
identification de la population.
Ce raisonnement nous le tenons à
la suite de la compréhension des dispositions des articles ci-après de la loi,
objet des critiques en comparaison avec celles de la loi n°06/006 du 09 mars
2006 telle que modifiée par la loi n°11/003 du 25 juin 2011 :
I. DE L’ARTICLE 115 ALINEA 2
POINTS 1, 2 ET 4 DE LA LOI MODIFICATIVE DE JANVIER 2015.
Cette disposition est ainsi
libellée : » le nombre de sièges à l’Assemblée Nationale est de cinq
cents. Chaque circonscription électorale a droit à un nombre de députés égal au
résultat des opérations suivantes :
1. Un quotient électoral est
obtenu en divisant le nombre total d’habitants de la République Démocratique du
Congo par le nombre total des sièges à pourvoir à l’Assemblée nationale ;
2. le nombre de sièges à pourvoir
dans chaque province est obtenu par la division du nombre total d’habitants de
cette province par le quotient électoral ;
3. le nombre de sièges à pourvoir
dans chaque circonscription est obtenu par la division du nombre total
d’habitants de cette circonscription par le même quotient électoral ;
« La fraude à la loi et le risque
de glissement contenus dans cette disposition peuvent être ressortis en faisant
une analyse comparative avec l’article 115 de la loi n°06/006 du 09 mars 2006
telle que modifié par la loi n°11/003 du 25 juin 2011.
Ce texte est ainsi conçu à son alinéa 3, litteras a, b et d : » chaque
circonscription électorale a droit à un nombre de députés égal au résultat des
opérations suivantes :
a. un quotient électoral est
obtenu en divisant le nombre d’électeurs enrôlés de la République Démocratique
du Congo par le nombre total des sièges à pourvoir à l’Assemblée Nationale ;
b. le nombre de sièges à pourvoir
dans chaque province est obtenu par la division du nombre d’électeurs enrôlés
de cette province par le quotient électoral ;
d. le nombre de sièges à pourvoir
dans chaque circonscription est obtenu par la division du nombre total
d’électeurs enrôlés de cette circonscription par le même quotient électoral ;
« Comme on peut aisément se rendre
compte, la fraude à la loi, donc à la volonté populaire, et le risque de
glissement ont consisté à remplacer les termes électeurs enrôlés par ceux de
nombre d’habitants. Or ce nombre d’habitants ne peut être connu qu’à la suite
des opérations de recensement et d’identification de la population.
II. DE L’ARTICLE 145 ALINEA 3 DE
LA LOI DE JANVIER 2015
Cette disposition est ainsi
libellée : » il (le nombre de sièges à pourvoir à chaque Assemblée
Provinciale) est calculé proportionnellement au nombre d’habitants de la
province. » alors que le texte de l’article 145 de la loi n°06/006 du 09
mars 2006 était conçu de la manière suivante : » Le nombre de sièges à
pourvoir pour chaque Assemblée provinciale est de :
1. 48 députés provinciaux pour les provinces de plus de 2.500.000 électeurs enrôlés;
2. 42 députés provinciaux pour les provinces entre 2.000.001 et 2.500.000 électeurs enrôlés ;
3. 36 députés provinciaux pour les provinces entre 1.500.001 et 2.000.000 électeurs enrôlés ;
4. 30 députés provinciaux pour les provinces entre 1.000.001 et 1.500.000 électeurs enrôlés ;
5. 24 députés provinciaux pour les provinces entre 500.001 et 1.000.000 électeurs enrôlés;
6. 18 députés provinciaux pour les provinces de 500.000 électeurs enrôlés et moins
On voit ici également la volonté des parlementaires de janvier 2015, de soumettre l’organisation des élections provinciales aux résultats de recensement et d’identification de la population et non plus au nombre d’électeurs enrôlés.
III.DE L’ARTICLE 146 ALINEA 1ER
POINTS 1 ET 2 DE LA LOI DE JANVIER 2015
Cette disposition est conçue
comme suit : » Chaque circonscription électorale a droit à un nombre de
députés provinciaux égal au résultat des opérations suivantes :
1. un quotient électoral par province est obtenu en divisant le nombre total d’habitant de cette province par le nombre de siège à pourvoir à l’Assemblée Provinciale ;
2. le nombre de sièges à pourvoir
dans chaque circonscription est obtenu par la division du nombre total
d’habitants dans cette circonscription par le nombre de sièges à pourvoir à
l’Assemblée de la province ;
« Et l’alinéa 2 de cette
disposition dit que les dispositions de cet article s’appliquent mutatis
mutandis aux élections des conseillers municipaux de secteur ou de chefferie.
Alors que, l’article 146 de la
loi du 09 mars 2006 qui n’avait pas connu de modification en 2011 était ainsi
conçu :»
Chaque circonscription » Chaque circonscription électorale a
droit à un nombre de députés provinciaux égal au résultat des opérations
suivantes :
1. Un quotient électoral par
province est obtenu en divisant le nombre d’électeurs enrôlés dans la province
par le nombre de sièges à pourvoir à l’Assemblée de la province ;
2. le nombre de sièges à pourvoir
dans chaque circonscription et obtenu par la division du nombre total
d’électeurs enrôlés dans cette circonscription par le quotient électoral de la
province ;
« .L’alinéa 2 de cette disposition
disait que les dispositions de cet article s’appliquaient mutatis mutandis, aux
élections des conseillers municipaux, de secteur ou de chefferie.
Ici également, les parlementaires de janvier 2015 ont remplacé les termes » électeurs enrôlés » par ceux de » nombre total d’habitants ».
IV. DES ARTICLES 192 ALINEA 1ER
ET 208 ALINEA 1ER DE LA LOI DE JANVIER 2015
Ces dispositions, tout en
constituant une répétition inutile, en ce que l’article 146 s’applique aux
élections municipales, celles des conseillers de secteur ou de chefferie. Nous
notons également que les termes » électeurs enrôlés » ont été
remplacés par ceux de » nombre total d’habitants ».
V. DE L’ARTICLE 237 ter ALINEA 2
DE LA LOI DE JANVIER 2015.
Pour parachever l’œuvre du
glissement au-delà de 2016, l’article 237 ter dispose : » les
dispositions des articles 12 alinéa 4, 145 alinéa 3, 146, 192 alinéa 1er et 208
alinéa 1er ne s’appliquent pas aux scrutins électoraux des cycles 2006 et 2011
non encore organisés « . Ce qui revient à dire qu’on revient au schéma
soutenu par l’autorité morale de la majorité présidentielle, suivi en cela par
l’Abbé MALUMALU, schéma consistant à l’organisation d’abord des élections
locales, municipales, urbaines et provinciales avant celles législatives et
présidentielle.
Or, on le sait : ces scrutins ne
peuvent pas prendre moins de deux ans pour leur tenue. En conséquence, le
schéma du glissement est bien tracé par trois scénarios, sinon quatre : le
recensement et l’identification de la population ; La tenue des scrutins
électoraux de 2006 et 2011 non encore organisés pour prendre du temps, bloquer
le financement des opérations électorales, et le cas échéant, on pourrait
imaginer le montage d’une fausse rébellion.
De tout ce qui précède, nous
constatons avec grande déception que le législateur congolais de janvier 2015 a
maintenu le recensement et l’identification de la population comme condition
préalable à l’organisation des élections législatives, provinciales, urbaines,
municipales et locales de 2016. Cela ressort clairement des dispositions de la
loi que nous avons passées en revue.
Ainsi, en l’état actuel de cette
législation, les députés nationaux, sénateurs, députés provinciaux, Gouverneurs
et Vice-Gouverneurs ne pourront être remplacés par une nouvelle législature
qu’au-delà de 2016, et donc il y aura glissement.
Aussi, quand bien même, l’alinéa
3 de l’article 8 a été élagué, le risque d’un glissement n’est pas totalement
exclu, car au cas où la CENI envisagerait de coupler les élections
présidentielle et législatives, elle serait tenue aux résultats du recensement,
en ce que pour la tenue de ces dernières, il faut compter pour la répartition
des sièges avec le nombre d’habitants exigé par la loi électorale de janvier
2015 dans chaque circonscription, et donc avec les résultats du recensement et
d’identification de la population.
Dans ces conditions, même si un
nouveau Président de la République sera élu en 2016, il sera tenu de gouverner
avec la majorité parlementaire actuellement en place au cas où les scrutins
présidentiels et législatifs seraient séparés.
Ainsi, tout compte fait, nous
concluons que le législateur de janvier 2015 a trompé la vigilance du peuple
Congolais en supprimant l’alinéa 3 de l’article 8 alors que d’autres
dispositions du même texte retiennent l’esprit et la lettre de ladite disposition
prétendument supprimée. Il en est ainsi des articles 115, 145 alinéa 1er, 146,
192, 208 et 237 ter.