CHARLIE HEBDO: «LES THESES CONSPIRATIONNISTES NAISSENT DESORMAIS AVANT MEME LA VERSION OFFICIELLE»
INTERVIEW - À peine la tuerie de Charlie
Hebdo perpétrée, les interprétations complotistes ont fleuri sur la toile.
Bruno Fay, auteur de Complocratie, nous explique pourquoi.
LE FIGARO - Dès les premières
heures, la tuerie de Charlie Hebdo a alimenté nombre d'hypothèses
plus ou moins farfelues sur l'affaire. Comment naissent ces théories alors que
la confusion règne toujours?
Bruno FAY - Les théories
conspirationnistes ne sont pas apparues avec la
fusillade de Charlie Hebdoet la traque des frères Kouachi. Ce n'était
pas fréquent il y a 15-20 ans, mais le 11-Septembre a accéléré cette tendance
et désormais, chaque évènement majeur provoque son lot de thèses. Et tout va de
plus en plus vite: l'hyperinformation et l'accélération du temps médiatique ont
créé un phénomène nouveau.
Pour reprendre l'exemple du
11-Septembre, repensons à Thierry Meyssan. L'écriture de son ouvrage sur
l'attaque (NDLR: L'effroyable imposture) est venue après les faits, pour
contester une version officielle établie par les autorités américaines. Dans le
cas d'aujourd'hui, ce même Thierry Meyssan a, le jour même, publié un article
intitulé Qui a
commandité l'attentat contre Charlie Hebdo?... On est là face à une
nouveauté: les théories du complot fleurissent désormais avant même que le
travail de la police n'ait été fait et qu'une «version officielle», (qu'il
s'agirait de combattre), n'ait été établie. L'a priori de ce type de
raisonnement, c'est que la version officielle sera de toute façon fausse...
même si elle n'existe pas encore.
C'est donc cette façon de
raisonner qui est à l'oeuvre dans les commentaires sur la fusillade à Charlie
Hebdo?
Tout à fait, et la plupart des
éléments mis en avant par les conspirationnistes le montrent. L'exemple le plus
emblématique est peut-être l'exécution du policier Ahmed, qui a été filmée sur
une vidéo amateur (NDLR: on y voit le policier au sol, vraisemblablement achevé
à la kalachnikov par un des terroristes). Assez vite, des internautes ont
publié des ralentis de la vidéo pointant l'absence de sang, un impact de balle
ne correspondant pas, pour remettre en question le tir dans la tête. Le problème,
c'est qu'aucune autopsie n'a encore été réalisée et qu'il n'y a aucune
expertise permettant de dire qu'il a bien été exécuté d'une balle dans la tête!
Un autre exemple largement
discuté a été celui de la carte
d'identité d'un des terroristes abandonnée dans la voiture. Cette
information rappelait en effet le passeport de Mohammed Atta, un des
terroristes du 11-Septembre, retrouvé intact dans les décombres des deux tours.
On part du principe que tout est mené de manière professionnelle, tant chez les
terroristes que chez les policiers, et que toute erreur est forcément suspecte.
Enfin, d'autres théories peuvent s'attacher à
trouver un sens dans des lapsus, comme par exemple lorsque Caroline Fourest évoque en plateau, avant de
se corriger, les «beaux yeux bleus» des terroristes dont lui a parlé
une dessinatrice deCharlie.
«L'essor des théories du complot
découle d'années de mensonge des autorités.»
Tous ces exemples, ainsi que
d'autres, sont venus alimenter deux explications conspirationnistes de la
tuerie. Soit il s'agirait d'un attentat
sous «faux drapeau» («false flag»). Par ce terme, on veut dire qu'un État a
organisé un attentat en faisant accuser des personnes qui n'ont rien à voir
avec lui, afin de favoriser ses intérêts. Souvent ces personnes sont éliminées,
ce qui n'a pas été le cas ici, puisque le «3e
homme» de l'affaire Charlie Hebdo, recherché un temps par la
police, s'est rendu lui-même au commissariat. La deuxième thèse va carrément
jusqu'à imaginer une
mise en scène dont tous les protagonistes sont des acteurs.
Malgré le conspirationnisme, y
a-t-il encore de la place pour le doute légitime des citoyens?
À titre personnel, je n'ai pas
peur de douter. Je veux simplement mettre en garde ceux qui doutent: on ne peut
pas se poser de question sans avoir des éléments: il faut attendre, avoir du
recul. Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que ni les services d'État, ni
les journalistes ne dévoilent l'intégralité de leurs informations dans des
affaires où cette divulgation peut compromettre la sécurité du pays ou le
déroulement d'une enquête.
Enfin, je crois qu'il y a dans ce
qu'on appelle les «théories du complot» une masse de personnes qui estiment
simplement se poser des questions légitimes, à ne pas amalgamer avec les
conspirationnistes qui eux, agissent par idéologie. Je fais donc la distinction
entre ce que j'appelle les conspirationnistes «idéologiques» et les
conspirationnistes «ordinaires». Les premiers sont, par exemple, ceux qui
élaborent au tout début du XXe siècle le faux antisémite des Protocoles
des sages de Sion. Ceux-là ont ont un objectif idéologique. Les seconds sont
simplement des personnes habituées à remettre en cause, par principe, la parole
officielle, parce qu'ils ne croient plus en l'autorité. L'essor des théories du
complot découle d'ailleurs d'années de mensonge des autorités.
Le doute est toutefois légitime
quand il s'appuie sur des éléments factuels. À l'époque, ceux qui dénonçaient
le sabotage du Rainbow Warrior par les services français étaient accusés
d'affabulateurs, et
pourtant, c'est bien ce qu'il s'est passé...
À ce jour, rien ne me permet
toutefois de douter sur l'affaire actuelle.
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